L'Allemand prend tout

Forces nouvelles 3/3/1945

 

On rencontre, aujourd'hui, des gens pour reprocher à la Résistance ses slogans : « L'Allemand nous prend tout ». Parce que le ravitaillement va mal, que la disette se fait partout sentir, que l'industrie est au point mort, ces mêmes gens sont prêts à nous dire que l'Allemagne ne nous prenait rien, puisque maintenant que nous sommes délivrés des nazis notre misère n'est pas allégée.

Ces gens oublient qu'entre-temps s'est déroulée, sur notre sol, une campagne et que nos plus belles provinces en furent dévastées, ils oublient la pénurie réelle de nos transports, ils oublient, surtout, que nous subissons encore le contre-coup des prélèvements massifs que nous ont imposés les Allemands et qui nous ont ruinés au point que plusieurs années seront nécessaires pour nous relever. Mais la statistique suivante les convaincra peut-être. Elle porte sur un secteur déterminé de l'économie : le textile. Précisons, immédiatement, que cette statistique ne tient compte que des prélèvements résultants d'accords officiels et ne comprend pas, en particulier, les achats individuels des Allemands, ni les réquisitions « pour le cantonnement et l'hébergement des troupes d'occupation », au titre desquels certaines préfectures ont dû fournir jusqu'à des cent mille couvertures :

En laine brute et produits finis en laine : 76 000 tonnes, d'une valeur de        8 300 000 000 francs ;

En coton brut ou produits finis en coton : 50 000 tonnes, d'une valeur de       4 000 000 000 francs ;

En filés et tissus de lin : 38 000 tonnes, d'une valeur de 4 000 000 000 francs ;

En chiffons de récupération : 75 000 tonnes, d'une valeur de 400 000 000 francs.

Au total, jusqu'au 31 mai 1944, nous avons livré 252 500 tonnes de matières premières, produits semi-finis, représentant une somme de 20 milliards de francs, et représentant plus de 70% des matières premières nobles.

Sans doute, l'Allemagne s'engageait-elle, en contre-partie, à des livraisons de pâte de bois pour la fabrication de la rayonne et de la fibranne.

Mais l'Allemagne, qui avait exigé de la France ces livraisons, était beaucoup moins pressée d'exécuter les siennes. En 1942, elle n'a livré que 77 000 tonnes sur 134 000 qu'elle avait promises. En 1943, 17 500 tonnes, contre 100 000 convenues. De même façon, elle ne nous a jamais envoyé, au titre du textile, que des marchandises pour 2 milliards 700 millions de francs. Faisons une soustraction, et nous trouverons que ses prélèvements ont été supérieurs aux livraisons d'environ 17 milliards 800 millions de francs.

On pourrait, d'ailleurs, rapprocher cette statistique d'une autre, qui provient de la Banque des Règlements Internationaux, et qui chiffre, ainsi qu'il suit, le coût de l'occupation allemande dans les divers pays qui furent sous sa botte (en milliards de francs) :

 

Frais d'occupation

Balance du clearing

Prélèv. Non payés

Total

France

600

150

250

1000

Hollande

150

90

40

280

Belgique

120

110

50

280

Danemark

--

50

20

70

Autres pays (non compris l'URSS)

400

250

250

900

 

1270

650

610

2530

Les Allemands ne prenaient pas tout. Ils ne nous ont volé que mille milliards !

 

Au cours d'une semaine diplomatique chargée